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Le Bal des maudits
Edité par Phébus - 1996
Derrière le film-culte d'Edward Dmytryk (1959), avec Marlon Brando et Montgomery Clift, se cache un roman qui fut l'un des grands succès de l'après-guerre, et que nous avons peut-être eu tort d'oublier. Un roman qui fit comparer son auteur à Tolstoï – et dont les libraires attendaient depuis longtemps la réédition. À le lire (ou à le relire), on s'aperçoit que Le Bal des maudits tient de tout autres promesses que celles qu’il paraît annoncer. D'abord ce n'est pas un roman de guerre, même si les balles sifflent et tuent, même si les villes flambent – et si l'action, selon la grande tradition américaine, mène le bal. C’est un roman qui met en jeu le destin croisé de personnages en guerre avec eux-mêmes, ce qui est assez différent. Christian Diestl, l'Allemand idéaliste et ambitieux, séduit par les idées nazies, au long de son chemin brutal assiste à l'effondrement de ses certitudes. Noah Ackerman, le petit Juif californien mal dans sa peau, part libérer l'Europe en rêvant de se libérer lui-même, et vit sa vie de soldat comme un enfer (un antimilitarisme radical baigne tout le livre). Michael Whitacre, le New-Yorkais dragueur et cynique, se retrouve contre toute attente dans la peau d’un infirmier des âmes... Ces trois existences vont cheminer loin les unes des autres d'abord, puis se croiser, puis se retrouver dans une scène finale que le lecteur n'est pas près d'oublier. Mais le miracle ici ne tient pas tant au suspens rythmé par ce contrepoint implacable qu'au regard, terriblement lucide, que l’auteur porte sur l'histoire qu’il nous raconte. Écrit « à chaud », alors que les armes venaient à peine de se taire, le livre frappe paradoxalement par la distance qu’il entretient avec son sujet. Et pourtant Irwin Shaw, Juif et combattant, fut parmi les premiers à découvrir, dans les rangs de l'armée américaine, l'horreur des camps de la mort. Mais peut-être est-ce pour exorciser cette horreur justement qu’il s'applique ici plus à comprendre qu’à condamner.