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Terra nostra
Edité par Gallimard - 1979
La Seine bouillonne, les flagellants investissent Saint-Germain-des-Prés. Des tours de Saint-Sulpice s'élèvent les fumées de l'holocauste, tandis que sur les Quais les femmes de tous âges accouchent d'enfants mâles, tous marqués du sceau de l'Usurpateur : croix de chair sur l'omplate et six orteils à chaque pied. Nous sommes à la veille de l'an 2000... De l'Amérique latine, il ne reste que terres ravagées par la publicité ou le génocide et quelques réfugiés témoins de ce que fut la culture d'un continent. Millénariste, érudit, hallucinatoire, ce maître livre de Carlos Fuentes scrute pourtant le passé, hanté par les fantômes de Charles Quint, Philippe II et Charles II, dit « l'Ensorcelé », facettes d'un personnage unique : le Monarque Eternel de toutes les Espagnes. Don Quichotte et Don Juan trouvent ici une jeunesse commune, tandis que Jeanne la Folle continue à traîner le corps momifié de son bien-aimé époux d'un couvent de Castille à l'autre. Autour d'eux, une foule de figures-collages nous restitue l'histoire en même temps que le mythe : chefs du soulèvement paysan des « Comuneros », inventeurs d'hérésies, artistes et criminels, saints et fous de la mémoire vécue ou imaginée du monde hispanique. Célestine surtout, violée par le Souverain le jour de ses noces, qui réapparaît - les lèvres tatouées, fille d'une louve et du Malin, compagne des trois bâtards marqués du sceau de l'Usurpateur, dont l'un fera le voyage initiatique vers les volcans du Nouveau Monde. Parce qu' « il faut plus d'une vie pour parfaire une personnalité », Carlos Fuentes se penche ici sur la naissance, la passion, la mort et la modification de la civilisation commune à son continent et à l'Espagne - triple, car chrétienne, juive et musulmane -, ainsi qu'au pourtour de la Méditerranée. Abolissant toute chronologie connue au profit d'un temps réel qui contiendrait tous les temps, Terra Nostra est le livre des cercles, des spirales convergeant en un seul lieu : l'Escurial. Le Souverain en poursuit la construction, faisant fi de la réalité du pays : monastère, palais et nécropole de la royauté espagnole d'où l'on s'élance vers les confins de l'antiquité méditerranéenne comme vers la forêt vierge du Nouveau Monde. A ce carrefour, l'œuvre peinte de Bosch ou de Signorelli renvoie à un masque de plumes aztèque et l'on découvre que Cervantès, narrateur secret de cette histoire, est aussi l'auteur de La Métamorphose. Ce n'est pas un hasard si Carlos Fuentes situe le début et la fin de son récit à Paris, ce « point exact de l'équilibre moral, sexuel et intellectuel entre deux mondes qui ont fait notre malheur... l'anglo-saxon et le latin». Roman gigogne où tout est signe, symbole, allégorie, Terra Nostra invite chacun à une quête profonde de notre personnalité cachée dans les méandres d'une expérience historique commune dont les « nouveaux barbares » tentent d'abolir le souvenir.